10 questions à mon frère Nicolas TARRALLE

Jean-Paul : Nicolas, peut-être connais-tu ce propos du philosophe Guy COQ : « Nous nous devons les uns aux autres des paroles sur notre chemin vers le sens de vivre. Dans le dialogue, ces paroles ne sont pas une tentative de prise de pouvoir sur l’autre. Elles disent la fragilité d’une expérience vitale, expérience d’une vie bousculée par la foi ». Tu viens de rejoindre la mission de l’Assomption en Afrique de l’Ouest, peux-tu nous partager ton expérience humaine et ton expérience de foi en répondant à mes questions pour les lecteurs du blog des Assomptionnistes en Afrique de l’Ouest ? Commençons par ceci : Peux-tu me parler un peu de toi?

Nicolas : Je suis le deuxième de 6 enfants, d’une famille qui a beaucoup voyagé puisque je

suis né au Canada, j’ai vécu ensuite en Autriche, en France, aux Etats-Unis pour revenir

Nicolas Tarralle

Nicolas Tarralle

passer le Bac en région parisienne. Pendant mes études de commerce je faisais du scoutisme et en 1990 nous avons fait un camp routier à Manga, à 60 km au sud de Ouagadougou. C’était mon premier séjour au Burkina, il n’avait duré que 3 semaines, mais il m’avait marqué. Une fois mon diplôme en poche j’ai voulu repartir loin, pour plus longtemps, et j’ai postulé à la DCC. A ma grande surprise, ils m’ont proposé un poste à quelques kilomètres de Ouagadougou, chez les frères de la sainte famille de Saaba. J’ai ainsi partagé la vie du juvénat et de la communauté de 1993 à 1995… et je suis reparti en France.

Jean-Paul : Quel  est ton parcours et comment es-tu arrivé à l’Assomption ?

Nicolas : Arrivé en France j’ai cherché du travail depuis la maison de mes parents, et le premier jour de travail, je suis allé m’installer sur un bateau à Conflans Sainte-Honorine. Dans la journée j’allais travailler sur Paris pour contrôler les comptes de sociétés d’HLM et le soir je revenais dormir sur l’eau. Ce bateau m’avait intrigué plusieurs années auparavant, au fil de visites à l’aumônier et aux amis qui habitaient avec lui. C’était un bateau-chapelle, une église flottante, la paroisse des bateliers, c’est-à-dire des gens qui travaillent sur l’eau. Leur « curé » était un assomptionniste qui accueillait des personnes qui n’avaient pas d’endroit ou dormir, et qui cherchaient à reconstruire leur vie. Il y avait des gens de toutes sortes, petits, grands, pauvres, riches, blancs, marrons, noirs, qui vivaient ensemble. J’ai rejoint cette communauté hétéroclite (nous étions, une petite vingtaine) accueilli moi aussi tel que j’étais. Pour faire bref, mon travail s’est arrêté au bout de 6 mois, j’ai pris un an à temps complet pour vivre sur le bateau, et au bout de ce temps, lors d’une retraite, j’ai découvert que c’est la vie de prière, de projet et d’accueil que j’avais vécu que le Seigneur m’invitais à continuer. Et je suis allé voir les assomptionnistes parce que le Père Arthur, qui m’avait accueilli, était assomptionniste.

Jean-Paul : Une Parole de l’Evangile qui  constitue un « trésor » pour toi ?  Qui te met en marche ?

Nicolas : Je suis marqué par la parabole du bon samaritain, et par le fait qu’il faut un aubergiste pour prolonger son geste : j’aimerai rencontrer beaucoup d’auberges comme celles-ci qui font confiance à celui qui reviendra payer plus tard… Je suis aussi frappé par la douceur et la paix que Jésus vient apporter dans le cœur des hommes : n’ayez pas peur dit-il, Paix à cette maison…. Enfin, il y a une phrase qui est pour moi un aiguillon permanent, une tâche de chaque instant : « que tous soient un, afin que le monde croie » (Jn 17,21)

Jean-Paul : L’Afrique pour toi, c’est un retour. Peut-on considérer ce retour comme un événement ?

Nicolas : C’est forcément un événement de partir loin de chez soi pour plusieurs années. Mais c’est la troisième fois que je viens (la quatrième en fait, puisque j’ai fait une visite l’an passé), et que la nouveauté ne consiste pas en la découverte du pays et de la ville. L’événement c’est bien de participer à la fondation d’une communauté de formation, ce qui est pour moi nouveau, et d’accompagner le développement de l’Assomption en Afrique de l’ouest. Et cet événement, je le vis dans la continuité de la vie assomptionniste que je connais depuis la France et que j’ai choisi lors de mes premiers vœux en 1999.

Jean-Paul : Je sais que tu es un passionné de  la pensée de Bruno Chenu : DEA sur Bruno Chenu, création et animation d’un blog (brunochenu.org), livre sur Bruno Chenu (au service de la vérité), projet de thèse etc.….. Pourquoi cet attachement? Quel intérêt pour l’Assomption, pour l’Eglise en Afrique ?

Nicolas : En travaillant sur Bruno Chenu en 2004-2005 pour mon DEA, mes supérieurs me posaient la question : est-ce que tu veux être prêtre ? Et je ne pouvais répondre ni oui, ni non. Je n’avais pas de conviction intime par rapport à cette question. Je savais pourquoi j’étais religieux vivant en communauté, mais je ne savais pas pourquoi il faudrait que je soit prêtre ou frère non-prêtre. Mais j’entendais bien l’appel qui m’était fait à écouter la réponse que le Seigneur me donnait. Et c’est en étudiant Bruno Chenu que j’ai compris que Dieu m’invitait à travailler à l’unité de l’Eglise de Jésus-Christ en étant prêtre dans l’Eglise catholique concrète qui est la mienne. Avec Bruno j’ai saisi cet appel à travailler à l’unité de l’Eglise, et je l’ai entendu venir de l’Eglise du Christ, et il m’envoyait vers l’Eglise historique à travers laquelle je l’entendais. J’ajouterai aussi que Bruno a l’art de regarder un horizon ecclésial très vaste et d’en faire des synthèses très simples. Cela fait beaucoup de bien à l’esprit parfois trop spéculatif qui est le mien. Et je crois qu’il a encore beaucoup de choses à nous révéler pour simplifier notre regard sur l’Eglise, pour nous la faire aimer. Alors je continue à  m’y plonger.

Jean-Paul : Dans le Blog,  « Eglise en marche – Ici et là bas » tu écris : « J’arrive dans un pays dont l’Eglise, avec ses richesses et ses limites, est vivante et bien organisée ». D’après toi, qu’est-ce que « l’Eglise d’ici » peut apporter à « l’Eglise de là bas » ?

Nicolas : C’est encore un peu trop tôt pour que je puisse le dire avec précision. Je n’ai pas encore terminé mon premier mois en Afrique… Je crois cependant qu’elle peut apporter son expérience concrète, la raconter, pour élargir le regard que les chrétiens européens ont de l’Eglise. Je dis Europe et Afrique, mais en fait, il y a des réalités très différentes d’un pays à l’autre, d’un diocèse à l’autre tant en Europe qu’en Afrique. Nous avons besoin de saisir cette diversité, de ne pas hypertrophier notre propre perspective sur l’Eglise. Je crois qu’il est temps de sortir des clichés qui disent qu’ici on danse et c’est vivant et que là-bas c’est vieux et vide pour enfin partager les joies et les peines de nos expériences ecclésiales. Nous vivons dans le même monde, avec les mêmes écrans de télé et de téléphone, les même messageries et réseaux sociaux, les mêmes sociétés de carburant et d’agroalimentaires : notre conscience ecclésiale doit s’élargir aussi.

Jean-Paul : « Les jeunes Eglises développent une synthèse de foi, de culture et de vie en devenir, et donc différente de celle développée par les Eglises plus anciennes. Pour moi, le rapport entre les Eglises d’institution plus ancienne et celles plus récentes est semblable au rapport entre jeunes et anciens dans une société : ils construisent le futur, mais les uns avec leur force et les autres avec sagesse ». Passionné d’ecclésiologie, quel (s) commentaire (s) fais-tu de ces propos du pape François dans les Revues Jésuites ?

Nicolas : Je n’ai pas l’expérience pastorale et la hauteur de vue du Pape François, mais avec ma petite expérience j’atteste qu’il y a bien du dynamisme ici dans le diocèse de Ouagadougou, des forces vives qui attendent d’être canalisées – notamment au niveau des jeunes – et de la sagesse dans les communautés que j’ai côtoyées dans le diocèse de Versailles, des personnes formées, compétentes et dévouées – notamment au niveau des laïcs. Mais j’ai envie d’ajouter qu’il y a de la sagesse ici à Ouaga, et du dynamisme dans les Yvelines. En fait, nous ne sommes pas face en face avec nos forces et nos limites respectives. Nous sommes ensemble embarqués dans des défis communs à l’échelle de notre monde. La consommation effrénée, la publicité envahissante, le culte de la croissance, la fascination du football-spectacle : est-ce que cela construit le royaume de Dieu ou défigure l’homme ? Le futur est actuellement pensé et construit avec des idéologies et des méthodes qui ne laissent aucune place à Dieu. L’intérêt de partager des perspectives différentes, c’est d’en saisir un peu mieux les contours, de nous interpeller fraternellement. Lorsque les évêques catholiques et anglicans des grands lacs invitent à construire la paix non pas à partir des belligérants, mais à partir des victimes de la guerre, à partir des populations violentées, ce message s’adresse bien sûr à tous les occidentaux, et aux chrétiens en particulier pour qu’ils s’en fassent l’écho auprès de leurs représentants, en Europe ou aux Etats-Unis par exemple. Les chrétiens doivent être aux avant postes d’une solidarité des peuples qui dépasse les rapports de force entre états-nations. Entre église, nous avons alors beaucoup à partager sur la manière dont nous rendons compte de l’espérance que Dieu a mise en nous : ici et là-bas, elle a de belles couleurs.

Jean-Paul : Dans le mot qu’il a adressé à la communauté de Ouagadougou à la fin du Chapitre local, le provincial disait ceci : « Soyez des créatifs et des audacieux ». Comment ce propos résonne-t-il dans les oreilles  d’un religieux qui débarque dans une nouvelle fondation ?

Nicolas : Un jeune frère de ouaga m’a rappelé il y a quelques semaines cette phrase qui j’avais dite au cours d’une interview : « il faut prévoir de ne pas trop prévoir ». La créativité ne se décrète pas, elle surgit. J’essaie d’être attentif aux conditions qui rendent cette créativité et cette audace possibles. Des conditions qui orientent la créativité et l’audace sur de bons rails. Ma conviction la plus profonde est alors que la véritable audace aujourd’hui, c’est d’accepter d’en faire moins, de se limiter, d’aller à contre-courant de la frénésie moderne du « toujours plus ». La vie religieuse en communauté est donc à cet égard ce que je crois être de plus d’audacieux. Et sa créativité réside dans la manière dont elle assume vraiment ses renoncements. Il faut être créatif pour vivre une pauvreté qui pousse au partage, pour vivre une chasteté qui tisse des relations justes, pour vivre une obéissance qui libère du diktat autoréférentiel. Seules cette audace et cette créativité, inscrites dans notre vie religieuse, nous donnerons assez d’humilité pour écouter les pauvres nous raconter comment Dieu les a déjà rejoints. C’est mon attention fondamentale pour notre fondation : que nous sachions écouter les appels qu’ils nous feront.

Jean-Paul : Saint-Exupéry écrit dans Citadelle : « … j’ai découvert une grande vérité. A savoir que les hommes habitent, et que le sens des choses change pour eux selon le sens de la maison ».  En quoi habiter à Ouagadougou dans le quartier St Léon, dans cette maison avec sa forme rectangulaire change-t-il ta vie et le sens des choses ?

Nicolas : St Exupery touche-là une dimension souvent sous-estimée de nos habitations : elles rendent certaines choses possibles, et en empêchent d’autres. Elles orientent les possibles et donc le sens de nos existences. Mais passer de St  Lambert des bois à la communauté de St Léon, ce n’est alors pas un très grand changement : les deux maisons ont été pensées pour des communautés d’une dizaine de religieux-religieuses… c’est en tout cas moins dépaysant que de passer du bateau de Conflans au Prieuré de St Lambert. Maintenant, autour, c’est quand même bien différent. Il fait chaud toute la nuit, on entend les grillons et quelques bruits de la ville et des cours voisines, on est invités à la veillée de prière de la vieille (terme respectueux) d’en-face qui vient de mourir, au chapelet en mooré de la CCB (Communauté Chrétienne de Base) du quartier pendant le mois de Marie, on slalomme en moto pour circuler sur les grands axes, on fait du rodéo sur les trous et les bosses des rues secondaires… oui, il y a quand même du changement…

Jean-Paul : Embarqué dans l’apprentissage du mooré ? Parce que Dieu parle le mooré ?

Nicolas : Evidemment ! Il parle bien français, anglais, italien, polonais, espagnol, portugais, allemand… non ? N’a-t-il pas parlé hébreu, araméen ? N’a-t-il pas été entrainé dans le grec, dans le latin ? Et bien, il parle aussi mooré ! Ce n’est pas la langue qui est le plus important quand Dieu parle, c’est ce qu’il nous dit, mais pour nous, cela n’est possible qu’avec une langue particulière. Et je crois que quand on s’adresse à Dieu en mooré et qu’on l’écoute, il sait très bien utiliser toutes les nuances de langue pour se faire comprendre. Il y a donc des choses qu’il dit mieux en mooré qu’en français, parce que le français n’est pas capable de l’exprimer. J’ai envie de comprendre ce que Dieu me dit en mooré qu’il ne peut pas me dire en français. Plus précisément j’ai envie de pouvoir discuter avec des vieilles et des vieux, des chrétiens mossis, et qu’ils me parlent du Dieu de Jésus-Christ qui agit dans leur vie.

Jean-Paul : Merci beaucoup Nicolas. Bon séjour en Afrique ! Bonne mission au Burkina Faso !

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3 réponses à 10 questions à mon frère Nicolas TARRALLE

  1. Marie Josèphe Mahler dit :

    merci pour ce magnifique témoignage qui permet en ce temps de Noël de méditer et de sentir la joie de l’espérance. je relirai cette interwiew comme une nourriture pour l’âme.
    joyeux Noêl Nicolas
    Mijo

  2. Lefort dit :

    Bonjour Nicolas

    Je viens de voir ton nom dans la Croix à la rubrique Meditation.
    As tu habité à Washington dans les années 1980.
    Si oui, je t’ai eu comme éleve de piano, toi et ton frère ainé.
    Apparemment tu es revenu en France. Tes parents, sont ils toujours sur La Rochelle?
    Merci de me laisser un message…

    Bénédicte Lefort

  3. Je suis une Dominicaine de Notre Dame du Rosaire de Lolo , République Démocratique du Congo, le 03/02/2019 nous allons feter 25 ans d’existance c’est pourquoi en cherchant mes frères pour une aide que je suis tombée ici, comme notre Siège était à Toulouse la ou notre Père Dominique avait commencé c’est pourquoi j’avais demandé web de m’aider à trouver mes frères et faire le partage. si vous voulez m’aider a accéder frère Nicolas a trouvé mes frères. fraternellement

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