Les trois dimensions de sa conversion
Saint Augustin qui a vécu il y a 16 siècles est encore un homme qui résiste à l’usure du temps. C’est un maître spirituel qui continue de façonner, fasciner et charmer plus d’un chrétien aujourd’hui. Avant de découvrir la beauté divine, de goûter à la profondeur de la vie intérieure en Dieu, Saint Augustin est passé par plusieurs chemins tortueux qui ont façonnés son être, son caractère et sa personnalité. Père de l’Eglise, Saint Augustin a laissé pour la vie religieuse et pour l’Eglise un véritable patrimoine spirituel. Aujourd’hui, beaucoup de congrégations religieuses apostoliques vivent ou s’inspirent de la spiritualité augustinienne.
Les spécialistes de Saint Augustin s’accordent tous à dire que le chemin de conversion de Saint Augustin est un parcours en trois étapes : d’abord la conversion morale, ensuite la conversion intellectuelle puis la conversion spirituelle. Avant de nous pencher sur ces trois dimensions du chemin de conversion d’Augustin, parcourons rapidement les grandes étapes de sa vie.
Une vie loin de Dieu, mais avec Dieu
Augustin est né le 13 novembre 354 à Thagaste, dans une petite cité d’Afrique du Nord, de Monique, fervente chrétienne et de Patricius, païen. Il achève sa course terrestre le 28 août 430 alors qu’il est évêque d’Hippone. Entre ces deux dates, la vie d’Augustin se déroule en passant par plusieurs étapes, sensiblement différentes les unes des autres. En 365, il part pour Madaure pour les études. Il est contraint de revenir à Thagaste en 376 à cause du manque de moyens financiers de ses parents. Il n’a que 16 ans et il passe une année d’oisiveté pendant laquelle les passions, la sensualité et l’orgueil dominent son âme. Il se lie d’amitié avec des camarades et s’entrainent mutuellement à une vie insouciante et parfois immorale (vole de poires). Augustin dira plus tard, dans les confessions, que son âme, à cette époque, était malade, car présentant à Dieu le dos et non la face.
L’année suivante, grâce à la générosité d’un ami de la famille, Romanianus, Augustin s’envole pour Carthage pour les études supérieures en rhétorique. Durant son séjour à Carthage, il se lie d’amitié avec une femme qui lui donnera un fils : Adéodat. Augustin passera ensuite par une période d’égarement dans une secte manichéenne qui le retint neuf ans. L’influence de sa mère et surtout de l’Evêque de Milan, Mgr Ambroise furent décisives dans sa conversion. Il recevra le baptême dans la nuit du 24 au 25 Avril 387 après avoir suivi les instructions de catéchèse. Augustin retourne alors en Afrique et s’installe dans la maison parentale avec des frères, où il fonde un monastère. Il sera ordonné prêtre en janvier 391 puis Évêque d’Hippone en 396, succédant à Mgr Valère. Comme évêque, Augustin va faire vivre ses prêtres dans une vie communautaire, selon le modèle des premiers chrétiens, sous une règle qu’il a écrite. L’idéal communautaire visé par Augustin se résume en ces mots : « avant tout, vivez unanimes à la maison, ayant une seule âme et un seul cœur tourné vers Dieu[1] ». Il luttera farouchement contre les doctrines hérétiques de son époque. Il est mort en laissant à l’Eglise, un véritable patrimoine spirituel dont Les confessions, La cité de Dieu, Le De Trinitate, des sermons, Le commentaire de l’épitre de Saint Jean pour ne citer que cela.
Chemin de conversion : la triple conversion d’Augustin
La première conversion de Saint Augustin est la conversion morale. Elle intervient en 372 après la lecture de l’Hortensius, une œuvre de Cicéron[2]. L’Hortensius est un traité moral et philosophique dans lequel Cicéron montre que la recherche du bonheur passe par une vie morale faite de sérieux et d’abnégation. Ce qu’il découvre marque une étape décisive dans sa vie. Il se met à la quête de cette sagesse lue chez Cicéron en tentant de faire un lien avec le nom du Christ, que sa mère ne cesse de lui répéter depuis son enfance. Il entreprend de lire la Bible, mais trouve le style assez pauvre face à la rhétorique de Cicéron. Son amour pour la sagesse et le lien qu’il tente de faire avec le nom du Christ le poussera à aller voir chez les manichéens avec qui il va cheminer pendant neuf années. Au bout de ces années d’égarement, il découvre que la doctrine manichéenne ne donne pas une explication rationnelle de la foi mais demande de croire ce que les sciences ont depuis longtemps expliqué. Il s’en détache.
La conversion intellectuelle, est la seconde étape du chemin de conversion d’Augustin. Nous sommes en 386 ; alors qu’il est à Milan comme enseignant, il fait la connaissance de Mgr Ambroise, qu’il admire pour son éloquence. Il se lie d’amitié avec ce dernier qui dissipe progressivement en lui les préjugés anticatholiques et l’ouvre à la lecture de la Bible. Durant cette même époque, il lit les livres platoniciens qui lui enseignent que le chemin du bonheur se trouve au fond de nous. Il découvre ainsi le chemin de l’intériorité qui le pousse à faire un véritable retour à « soi-même » pour découvrir la vérité dans l’intimité de son être. Il écrira plus tard dans Les confessions, « qu’elle (la vérité) était par-dessus moi comme l’auteur de mon être et moi par-dessous elle comme son ouvrage. Celui qui connait la vérité, la connait et celui qui la connait, connait l’éternité ».
La troisième conversion, spirituelle, se produit suite à une scène mystique. En effet, Saint Augustin raconte dans ses écrits un épisode survenu dans le jardin où une voix venue d’une maison voisine l’invitait à saisir le livre qui était à portée de sa main et à le lire : « tolle lege » (prend et lis), disait la voix. Il saisit le livre (Les Saintes Ecritures) qui était ouvert sur les épitres de Saint Paul et tomba sur le passage suivant : « Revêtez-vous du Seigneur Jésus-Christ et ne vous faites pas les pourvoyeurs de la chair dans les convoitises ». Après lecture, sa conversion était radicale. Il s’inscrit comme catéchumène et pendant tout l’hiver 386, Augustin se met en congé dans une propriété de Cassiciacum pour se préparer au baptême, avec quelques amis. Cette retraite aboutira à son baptême.
Que retenir de ce chemin de conversion d’Augustin ?
Marcel Neusch, Assomptionniste et spécialiste de saint Augustin répond en ces termes : « il est claire que pour Augustin, la conversion est un mouvement second qui vient en réponse à un appel premier de Dieu, ce qui interdit à l’homme de s’arroger le mérite de sa conversion[3] ». Saint Augustin, animé d’un ardent désir de découvrir le bonheur, a su répondre favorablement à l’appel de Dieu en cessant de chercher la vérité, qui est Dieu, dans les bonheurs éphémères et en revisitant son intériorité, siège principal de Dieu dans l’être humain ; retrouvant ainsi la paix intérieure en Dieu. Lui-même écrira : « Tu nous as faits Seigneur, et notre cœur est sans repos, tant qu’il ne demeure en toi[4] »
Jean-Valère KOUWAMA, Novice a.a.
[1] Règle de Saint Augustin, Chapitre I, 2.
[2] Homme politique et philosophe romain, né en 43 avant JC. Ceci explique la raison pour laquelle Augustin ne trouve pas le nom du Christ, car Cicéron n’a pas connu Jésus.
[3] Marcel Neusch, Augustin, un chemin de conversion, Desclée de Brouwer, 1986.
[4] Saint Augustin, Les Confessions, Livre I, chapitre 2.